samedi, mars 28, 2009

Ma vie parmi les ombres



" J'ai vu s'éteindre, à Siom, sur les hautes terres limousines, entre les années 60 et le début de ce nouveau millénaire, le monde rural dans lequel je suis né. J'ai vu finir une civilisation qui avait duré des siècles. Ils sont tous morts, les Bugeaud comme toutes les grandes familles siomoises, et c'est pourtant parmi eux, hommes et femmes que j'ai vus vivre et que je croyais immortels, que j'erre aujourd'hui, perdu ou sauvé par l'écriture, ombre parmi les grandes ombres de Siom. " Entre un père inconnu et une mère absente, ce fils de personne grandit à l'ombre de fantômes, errant plus souvent entre les livres et les absents qu'avec ceux de son âge. Le temps d'une nuit, pour sa jeune amante, il déploie le passé de sa terre natale, des lieux et un monde disparus " puisqu'ils n'existent que dans la mesure où on parle d'eux ".

Le sentiment à la fermeture de la dernière page du livre de Richard Millet est un sentiment fugace où se mêle la vie et la mort qui ne font qu'un d'après l'auteur.

Quelques morceaux choisis:
  • Cette faculté d'abandon, d'oubli, de perte de soi, qui est le propre des grands lecteurs.
  • En amour comme en affaires, les apparences comptent au moins autant que la stratégie et l'opiniatreté.
  • Le monde n'est qu'une illusion plus ou moins opportune.
  • Le vrai pouvoir vient de l'argent, des notaires, des banques, de la parole comme du silence, et des apparences qu'on se donne.
  • Les paroles, c'est comme les orties, tout dépend de ce qu'on en fait; dans ce sens elles sont inoffensives; dans l'autre, elles brûlent.
  • On est jamais aussi aveugle sur soi que lorsque on est en train de décliner ou de se perdre.
  • Une ombre parmi les ombres, un archiviste sourd et un voyant presque aveugle, ce que l'écris ici étant bien peu de chose en regard de la terreuse épaisseur de ces existences.
  • Tout se défait, tout passe, les empires comme les dynasties et les vies personnelles.
  • On existe bien plus par ce qu'on dit être que par ce qu'on est réellement.
  • Certains lieux exigent de nous une présence différente, une autre manière d'être.
  • Il en est des lieux comme des gens : on ne peut se comporter de la même façon avec tout le monde.
  • Le temps n'est que la somme des images présentes, passées et à venir dont nous cherchons en vain à nous constituer un visage. Nous sommes des ombres qui tentent d'épuiser dans la chair la peur qu'elles ont d'elles-mêmes, la voix, les langues, les textes n'étant que l'ombre portée du temps sur la terre où nous attendons de mourir, ayant trouvé dans le temps ce que nous réclamons à autrui, à la musique, aux grands récits : que le temps passe d'une autre façon, qu'il nous oublie, qu'il cesse de nous faire naître à chaque instant, ce temps qui s'était mis à s'écouler tout autrement.
  • Il faut parfois tout une vie pour se rendre compte à quel point on a aimé, regretté, accompagné quelqu'un, fût-ce à distance, dans ce lointain pays où se nouent les passions.
  • Le froid est un facteur moral considérable, et je suis tenté de confirmer ce dont j'avais eu l'intuition, enfant, à propos de la montagne et des villes : que plus le climat est rude, plus hautes sont la morale, l'exigence intérieure, les oeuvres.
  • On commence rarement d'aimer à l'instant où l'on rencontre quelqu'un, fût-ce par la terrible grâce d'un coup de foudre; la foudre était dans les cieux avant de tomber, et l'orage un processus qui a pris du temps : on aime bien avant d'aimer, souvent sans avoir vu qui on va aimer, ni même se douter qu'on aime, soit que la rencontre amoureuse se révèle l'accomplissement d'une quête liée à un type de femme longtemps recherchée et illusoirement trouvé de femme en femme.
  • L'amour est une construction de l'esprit indépendante du plaisir ou de la beauté physique, mais qui, comme toute construction intellectuelle, se nourrit des illusions, des artifices contre lesquels il s'élève et où il trouve sa vérité.
  • Une toute autre idée de la littérature, laquelle n'est pas une façon de fuir, de rêver, d'oublier, comme le croient les imbéciles, mais, au contraire, d'affronter le monde, de le renvoyer aux mensonges dans lequel il est pris, et de le rendre à sa vérité.
  • La lecture est une affaire de temps, de respiration et de rythme.
  • On ne peut pas souffrir à la place des autres, quelle que soit notre aptitude à la compassion.
  • Un homme étant la somme de ses ancêtres et de ses descendants autant que de ses actes.
  • Notre royaume n'est vraiment pas de ce monde.